Les compagnies historiques, dont Air France, sont prises en étau par les concurrents low cost et les géants du Golfe. Qui sortira gagnant des restructurations en cours??
Les transporteurs du Golfe poussent leurs pions partout dans le monde, mais ils ne sont plus les bienvenus aux États-Unis. Des mois d’enquête ont confirmé un chiffre que les Européens brandissent depuis longtemps : 40 milliards d’euros de subventions permettraient à Emirates, Qatar et Etihad de mener leur offensive. „Les compagnies américaines voient bien ce qui est arrivé en Europe en dix ans“, résume Laurent Timsit, directeur de la stratégie d’Air France-KLM. Environnement fiscal et social favorable, infrastructures facturées à des coûts marginaux, injection de capitaux : tout cela expliquerait une notoriété insolente. Elle s’est bâtie en quelques années à coups d’appareils flambant neufs, et de qualité de service exceptionnelle à prix serrés? Pour les majors européennes, cette compétition sans répit s’intensifie alors même qu’elles viennent à peine de retrouver l’équilibre financier et des ambitions nouvelles. Celles d’Air France-KLM seront débattues jeudi lors de l’assemblée générale des actionnaires. Au premier rang, les trois administrateurs représentants de l’État veilleront à obtenir les fameux votes doubles issus de la loi Florange : comme il l’a fait chez Renault, Bercy a décidé de monter au capital d’Air France pour s’en assurer. Un activisme que la compagnie voit d’un bon œil, surtout si l’État vient aussi la soutenir dans son combat contre les compagnies du Golfe.
British Airways-Iberia-Vueling, le trio gagnant
Sous la bannière IAG, le mariage d’un Anglais et de deux Espagnols, en 2011, avait fait des sceptiques. Aujourd’hui, British Airways va bien, Vueling continue sa croissance et Iberia a achevé „une restructuration remarquable“, selon Willie Walsh, le patron d’un groupe dont les bénéfices ont quasiment doublé l’an dernier. Les Qatariens ne s’y sont pas trompés. C’est dans IAG qu’ils ont pris en début d’année un ticket de 10%. Une façon de mettre un pied dans une forteresse quasiment imprenable pour les compagnies du Golfe : l’aéroport de Heathrow, à Londres. La plus grande plate-forme européenne, fief de British Airways, leader sur le trafic vers les États-Unis, est proche de la saturation et ne peut donc offrir de créneaux horaires aux concurrents. Repassée à l’offensive, la compagnie Iberia, elle, envisagerait l’ouverture de routes vers l’Asie, tout en continuant de se développer sur son marché cible, l’Amérique du Sud, avec un retour à Cuba. Dans le low cost, Vueling, avec ses 89 appareils, n’est pourtant pas seul à engranger les succès : Iberia Express va mieux et lance cet été 65 vols hebdomadaires supplémentaires.
Lufthansa, un nouveau modèle avec Eurowings
Le 25 octobre, le premier vol d’Eurowings, la dernière-née des compagnies européennes, partira pour la Thaïlande avec des billets, déjà en vente, à moins de 100 euros. Lufthansa, qui n’a pas réussi à imposer sa low cost Germanwings, mise désormais sur Eurowings, sa flotte de 90 appareils et ses bases opérationnelles localisées hors d’Allemagne. „Nous sommes au pied du mur. Il fallait renverser la situation, créer un modèle économique totalement nouveau“, explique au JDD un porte-parole du groupe. Ce mouvement stratégique entraîne un conflit historique avec les 5.400 pilotes du groupe, qui ont déjà lancé dix grèves. Cette semaine, un médiateur a été nommé pour éviter que le conflit, qui a coûté 230 millions d’euros l’an passé, ne s’enlise. Face à la centaine d’appareils que Lufthansa affectera au low cost, une flotte de 600 avions poursuivra l’activité traditionnelle, avec un investissement sur la montée en gamme de la rémunératrice classe business. Comme chez Air France…
Air France-KLM, des efforts encore indispensables
„Quand on réalise 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires, on ne peut pas se satisfaire d’un retour à l’équilibre.“ Pour Frédéric Gagey, le PDG d’Air France, le grand chantier de la restructuration est loin d’être terminé. Il va se poursuivre avec un nouveau plan, Perform 2020, qui doit aboutir, dès 2017, à 700 millions d’euros de résultat opérationnel. Avec sa filiale régionale Hop!, Air France, qui va fermer trois de ses bases de province d’ici à octobre, veut reprendre ses marques sur les vols court et moyen-courriers ; avec Transavia, monter enfin en puissance sur le segment du bas coût. „L’activité progresse de 30% et cet été, la flotte sera portée à 21 appareils.“
Enfin, sur le long-courrier, les efforts visant la clientèle la plus rentable, Première et classe affaires, commencent à payer. „Deux autres sujets pourraient nous permettre d’atteindre plus vite nos objectifs“, assure Frédéric Gagey. D’abord le gel de l’augmentation des redevances voulues par Aéroports de Paris, qu’il juge „exorbitante“. „Nous avons aussi officiellement demandé un moratoire sur la taxe de solidarité mise en place en 2006“, ajoute le patron d’Air France, l’une des rares compagnies au monde à s’en acquitter (80 millions d’euros par an). Il n’y a pas de petites économies. /Le JDD